6 April 2022 193 membres AprĂšs le succĂšs retentissant de son premier roman Inexorable, Marcel Bellmer nâa jamais vraiment rĂ©ussi Ă renouer avec le succĂšs. Des annĂ©es plus tard et au sortir dâune dĂ©pression qui lâa terrassĂ©, il emmĂ©nage avec sa femme et Ă©ditrice Jeanne Drahi, sa fille Lucie et leur chien Ulysse dans la riche propriĂ©tĂ© de son beau-pĂšre tout juste dĂ©cĂ©dĂ©. Dans ce temple de lâĂ©rudition oĂč se sont succĂ©dĂ©s les grands Ă©crivains du XXĂšme SiĂšcle, Marcel sent quâil est rattrapĂ© par ses dĂ©mons. Câest alors que Gloria, Ă©trangement fascinĂ©e par les Bellmer, se fait engager comme femme de mĂ©nage. Jeune et fougueuse, elle se rapproche de Marcel, ils sâattirent. Alors que Marcel sent revenir en lui le feu qui lui avait inspirĂ© Inexorable, il glisse inexorablement dans un piĂšge qui pourrait bien le mener Ă sa perte.
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DĂšs quâil avait bu, moi aussi il me traitait de pute et me disait que je finirais femme de mĂ©nage comme elle. Jâai grandi dans ce climat. En fait, subtilement, câest lui qui a créé Jennifer, la prostituĂ©e que je suis devenue. Par ses stratagĂšmes, il a rĂ©ussi Ă faire vivre lâimage quâil avait de la femme, Ă travers moi. Recevez nos derniers articles par e-mail ! Lettres d'information Recevez nos derniers articles par e-mail ! S'abonner A quatorze ans, jâai Ă©tĂ© placĂ©e en foyer. JâĂ©tais en Ă©chec scolaire. Je mâinterposais entre mon pĂšre et ma mĂšre quand il la battait, je pleurais beaucoup Ă lâĂ©cole, il y avait donc eu des signalements. Mais Ă dix-neuf ans, il a fallu que je quitte le foyer ; jâĂ©tais insolente avec les Ă©ducs, jâavais tout mis en Ă©chec. Quand je suis retournĂ©e chez mes parents, mon pĂšre mâa fait comprendre quâil fallait que je ramĂšne de lâargent. On habitait Ă la campagne et je nâavais ni permis de conduire ni diplĂŽme. Mon pĂšre me ramenait les journaux gratuits avec les petites annonces et jâen ai trouvĂ© une qui demandait une hĂŽtesse de bar. Je ne savais pas ce que câĂ©tait. Jâen ai parlĂ© Ă mon pĂšre qui mâa dit que câĂ©tait une bonne idĂ©e! Non seulement il mâa encouragĂ©e mais il mâa mĂȘme accompagnĂ©e physiquement. Il mâa expliquĂ© quâavant ces endroits sâappelaient des maisons closes et quâil en avait frĂ©quentĂ©. Quelque part, mon pĂšre mâa vendue Ă tout le monde. En mĂȘme temps, il est allĂ© voir une assistante sociale pour lui dire que sa fille se mettait en danger Ă©tait-ce pour se dĂ©culpabiliser ou parce que ça ne lui rapportait pas assez ? Il me rĂ©clamait de lâargent sur ce que je gagnais et en plus, il sâarrangeait pour me dire que la voiture Ă©tait en panne et câest moi qui payais. Il se servait de mon corps pour combler ses difficultĂ©s financiĂšres. A lâĂ©poque, jâai mĂȘme ramenĂ© des clients Ă la maison, qui mâappelaient Jennifer. Personne ne disait rien. De toute façon, Ă la maison, il ne fallait jamais rien dire. Jennifer, Alice, qui Ă©tait vraiment moi ? Dans ma tĂȘte, tout Ă©tait embrouillĂ©. Une trappe grande ouverte Quand je suis entrĂ©e dans mon premier bar, jâavais 19 ans. Jâai vu un lieu tamisĂ© avec une barre de striptease. Je me suis demandĂ© ce que je fichais lĂ mais dans ma tĂȘte, jâobĂ©issais Ă mon pĂšre et il nây avait pas dâautre solution. La patronne mâa dit de ne pas mâinquiĂ©ter, que je ne ferais les choses que si jâĂ©tais dâaccord. Quinze jours aprĂšs, câĂ©tait fait. Quand tu arrives lĂ dedans, la trappe est grande ouverte et elle a vite fait de se refermer. Elle mâa dit je vais faire de toi une bonne hĂŽtesse. Ce bar, je lâai quittĂ© quand mon pĂšre est mort brutalement, pour aller aider ma mĂšre. Mais jây suis retournĂ©e un an aprĂšs. Ces bars, câest le monde de lâhypocrisie. Tout est cachĂ©, câest le non dit. Dans la petite ville oĂč jâai commencĂ©, il en y avait sept. Les patronnes montrent un visage bien lisse, elles racontent quâelles refusent les actes sexuels dans leur bar. Mais comme la mienne Ă©tait souvent bourrĂ©e, le masque avait vite fait de tomber. Elle gueulait Alors bande de fainĂ©antes, est-ce que ça bosse ? Je veux plus de sexe! En fait, en gĂ©nĂ©ral, les passes nâont pas lieu dans le bar mais au salon », derriĂšre les rideaux ; ou bien les patronnes nous filent des prĂ©servatifs pour aller Ă lâhĂŽtel. La seule chose interdite, câest de voir des clients en indĂ©pendante, Ă lâextĂ©rieur, parce que câest autant dâargent qui leur passe sous le nez. On a de faux contrats de travail. JâĂ©tais embauchĂ©e comme femme de mĂ©nage personne ne sâĂ©tonnait quâil y en ait dix dans le mĂȘme bar ! et jâĂ©tais dĂ©clarĂ©e pour cinq ou six heures alors quâen fait câest la semaine chinoise, on bosse tout le temps. Le premier rapport sexuel de ma vie Quand on y est, avec les clients, on se persuade quâon domine, quâon a la maĂźtrise. AprĂšs, quand on se rĂ©veille, on comprend Ă quel point ils nous ont manipulĂ©es. Ils sont comme les patronnes gentils, protecteurs, en apparence. Les fonctionnements sont identiques. Ils te promettent de tâaider mais dĂšs quâils ont posĂ© les mains sur toi, ils ont oubliĂ© tout ce quâils te disaient la minute dâavant. Il y avait des flics, des mĂ©decins, des commerçants⊠Beaucoup de menteurs. Ils mentent pour se prĂ©senter, ils se font passer pour des malheureux, ils se justifient en disant que leur femme les trompe. Ils sont manipulateurs, pervers. Il faut un profil particulier pour acheter le corps dâune femme. Pour eux, une femme est un objet. En fait, ils me tenaient le mĂȘme discours que mon pĂšre ; que jâĂ©tais une pute, une salope, une bonne Ă rien. Je gagnais un quart sur la bouteille de champagne, les trois autres allaient Ă la patronne. En payant la bouteille, le mec gagne le droit de mettre ses mains partout. Il y a une forme de concurrence. Si les autres filles le font, comment veux-tu refuser ? Tu nâauras pas de clients. Donc, ça va crescendo. Tu le laisses te tripoter, puis te pĂ©nĂ©trer avec ses doigts, puis tu acceptes une fellation puis tout va trĂšs vite. Tu nâas pas le choix. Le client va se barrer si tu dis non. La premiĂšre pĂ©nĂ©tration rĂ©elle que jâai connue dans ce bar, câĂ©tait le premier rapport sexuel de ma vie. Du moins je pensais que câĂ©tait le premier, ayant perdu certains souvenirs⊠Je nâai mĂȘme pas ressenti de choc, avec tout ce que jâavais dĂ©jĂ subi avant. Jâavais dĂ©jĂ assimilĂ© violence et sexualitĂ©. Et puis jâavais bu. Jâavais peur de refuser quoi que ce soit. Jâhabitais juste au dessus, dans le grenier, et jâĂ©tais obligĂ©e de descendre me chauffer de lâeau dans la cuisine du bar pour pouvoir me laver. Jâai fini par prendre un hĂŽtel. Un client mâa avancĂ© le premier mois. Lâargent je le claquais trĂšs vite ; il y avait beaucoup de frais, le maquillage, les tenues Ă renouveler⊠Lâescalade Quand jây suis retournĂ©e lâannĂ©e dâaprĂšs, comme une automate, je suis partie vivre chez un client. Lâambiance avait changĂ©. Il y avait des actes sexuels au bar ; je me souviens de fellations Ă un client, Ă tour de rĂŽle, devant tout le monde. Je voyais les autres filles le faire et il fallait que jây passe Ă mon tour. La patronne Ă©tait de plus en plus dure, il nâĂ©tait pas question de dire non. Jâai vraiment eu lâimpression dâĂȘtre un objet. La patronne, son mari Ă©tait sorti de prison oĂč il avait purgĂ© une peine pour crime. Il envoyait des filles sur Paris. CâĂ©tait vraiment le proxo de base. Il se postait au coin du bar sans dire un mot et nous surveillait en nous dĂ©shabillant du regard ; il communiquait par code avec la patronne. Je disais oui Ă tout dĂšs quâil Ă©tait lĂ tellement il me flanquait la trouille. Je me souviens lâavoir entendu dire Ă quelquâun toi, demain, tu es mort. Lui et elle ont Ă©tĂ© mis en prison par la suite pour escroquerie aux clients⊠Il y a eu des plaintes, ils falsifiaient les montants de carte bleue. En tout cas, ils ne sont pas tombĂ©s pour proxĂ©nĂ©tisme. En fait, la patronne avait commencĂ© sur le trottoir et son mari avait Ă©tĂ© son proxo. Elle Ă©tait devenue bourreau Ă son tour. Mais elle se dĂ©truisait, elle Ă©tait complĂštement alcoolique. Elle me faisait peur quand elle me disait Tu me fais penser Ă moi au dĂ©but. Dans ce bar, on Ă©tait deux du lundi au jeudi. Le jeudi et le vendredi, il y en avait une troisiĂšme qui restait avec deux autres qui venaient pour le week-end. Certains soirs, câĂ©tait une vraie usine. Dans cette ville, je connaissais toutes les patronnes et toutes les prostituĂ©es. Personne dâautre. CâĂ©tait une espĂšce de rĂ©seau. Je nâavais pas de relations avec le monde extĂ©rieur. Tu te lĂšves Ă midi, tu pars manger avec un client. Manger avec ces types, câĂ©tait lourd ! Mais ça fonctionne, ça aide pour les faire revenir ; aprĂšs tu es au bar jusquâau petit matin. Ensuite tu pars en boĂźte avec eux sâils le demandent car la patronne ne te laisse pas le choix. Le but, câest dâen profiter pour trouver de nouveaux clients. Le lendemain, elle tâinterroge pour savoir quels clients y Ă©taient avec quelles filles dâautres bars. La concurrence Ă©tait rude dans cette ville⊠Pour moi, tout ça, câĂ©tait la vie normale. Les clients, il nây en a pas de gentils Il y avait un client pas trop dĂ©sagrĂ©able, on a commencĂ© Ă se voir Ă lâextĂ©rieur. Je le trouvais gentil, pas brutal. Il est venu chez moi, mais le sexe sans argent, je ne pouvais pas. Jâai dit non. CâĂ©tait la premiĂšre fois, dâailleurs, que je mâautorisais Ă dire non. Mais lui, il a dĂ©cidĂ© que câĂ©tait oui. Il mâa violĂ©e. Avant de se casser, il mâa regardĂ©e et il a dit si jâai le sida, tu viens de lâattraper. En fait, les clients, leur intention est toujours la mĂȘme. Il nây en a pas de gentils. AprĂšs, jâai mis six mois Ă oser faire le test. Sa phrase avait allumĂ© un signal dans ma tĂȘte, moi qui avais eu tellement de rapports non protĂ©gĂ©s avec des clients qui refusaient les prĂ©servatifs. Jâai continuĂ© Ă bosser au bar. Je ne rĂ©pondais plus Ă ses appels mais il est revenu. LĂ , jâai pĂ©tĂ© les plombs. Jâai explosĂ©. Et la patronne si gentille » mâa hurlĂ© dessus. Câest toi quâil a demandĂ©e, tu vas bosser! Elle me poussait vers mon violeur. De toute façon, on est quâune machine Ă fric. Câest le moment oĂč pour moi il y a eu un dĂ©clic. Jâai dit stop. CâĂ©tait le viol de trop. Jâai profitĂ© du clash pour aller porter ma lettre de dĂ©mission. Pour me protĂ©ger, je nâai pas franchi la porte. La patronne a essayĂ© de me rĂ©cupĂ©rer, mâa invitĂ©e Ă prendre des cafĂ©s en ville. Mais elle a compris que ma dĂ©cision Ă©tait irrĂ©vocable. Je lui ai dit quâaucun homme ne poserait plus les mains sur moi. Cette patronne Ă©tait trĂšs violente en rĂ©alitĂ©. CâĂ©tait une vraie mĂšre maquerelle et elle avait beaucoup dâascendant sur nous et sur les hommes. Avec lâargent quâelle se faisait sur notre dos, elle avait les moyens, elle prenait un taxi pour faire cent mĂštres. JâĂ©tais sa protĂ©gĂ©e, elle mâachetait des fringues, des chaussures ; elle avait le projet de mâemmener au Maroc. Je me demande Ă quoi jâai Ă©chappĂ© et je pense mĂȘme que, si je lâavais suivie lĂ -bas, je serais peut-ĂȘtre morte aujourdâhui. Avec lâalcool, plus de limites Au dĂ©but, tu te contentes de boire des coupes de champagne. Mais ça ne dure pas longtemps. Câest quand tu fais ton premier salon que tu rĂ©alises. La patronne, tu la crois⊠Elle dit au client câest son premier salon, tu prends soin dâelle ! Tu te dis, elle veut me protĂ©ger. CâĂ©tait la mĂȘme chose quâavec mon pĂšre jouer les attentionnĂ©s et te fourrer dans la gueule du loup. Jâavais Ă©tĂ© bien formatĂ©e. JâĂ©tais la proie idĂ©ale. Je me souviens des premiers soirs⊠Si je nâĂ©tais pas alcoolisĂ©e, je ne pouvais pas. Jâessayais, en parlant, de retarder au maximum, pour avoir le temps dâĂȘtre ivre. Ils posent leurs mains partout. Tu ne sais jamais ce quâils vont te demander. Quand tu ne peux plus boire dâalcool, tu le renverses sur la moquette ou dans les plantes vertes. Des fois, tu te colles contre le client, juste pour quâil ne te voie pas en train de jeter ton verre. Il faut ĂȘtre super maline et super vigilante parce que le type qui a payĂ© 300 ou 400 euros la bouteille de champagne, il nâa pas envie que tu le balances. Comme le lieu est tamisĂ©, parfois la patronne met du Perrier avec un peu de sirop pour imiter ; pas forcĂ©ment pour tâĂ©pargner, mais plutĂŽt parce que ça ne vaut pas le coup dâouvrir une nouvelle bouteille par exemple. Tout ce quâelle fait, câest dans son intĂ©rĂȘt Ă elle. Je consommais beaucoup dâalcool. A peu prĂšs que ça, dâailleurs ; trĂšs peu dâaliments solides. Les clients ne sont pas contre, ça leur permet de faire tout ce quâils veulent. Quand jâĂ©tais blindĂ©e, je ne rĂ©agissais plus. Mon corps appartenait Ă tout le monde. Il nây avait plus de limites, plus de barriĂšres. Lâalcool, avant dâarriver dans ces bars, je nâen avais pratiquement jamais bu ; quelques biĂšres et câest tout. Dans les pĂ©riodes oĂč je quittais le bar, je nâen consommais plus. Mais dĂšs que jây retournais, je recommençais. La derniĂšre fois, quand je suis partie, jâĂ©tais devenue dĂ©pendante. Se plaindre Ă qui ? On ne pouvait rien dire. Se plaindre Ă qui? Pour les stripteases, le client a interdiction de toucher sâil nâa pas pris une bouteille. Mais quand la patronne est blindĂ©e, elle laisse faire. Et Ă qui on irait se plaindre ? Idem quand un client ne veut pas de champagne mais quâil prĂ©fĂšre nous offrir un whisky ou autre chose. Elle, elle touche les consommations, et nous, les dindes de la farce, comme on ne touche rien lĂ -dessus, on se fait tripoter gratos ; on nâa pas le droit de lâouvrir ou de dire non. Si les clients Ă©taient pĂ©nalisĂ©s, ça changerait. De toute façon, dans ces salons, avec la musique Ă fond, une femme crierait au viol, personne ne lâentendrait. Quand jâai subi des viols par des clients, je nâen ai jamais parlĂ©. On ne parle pas de ces trucs lĂ , câest tabou. Dans un salon, peu importe ce qui sâest passĂ©. On ne dit rien. En plus, on subit en permanence des discours culpabilisants de la part des patronnes si tu nâas pas su retenir un client, câest ta faute. A la fin de la semaine, elle nous donne notre argent en nous faisant des remarques sur nos performances. On finit par avoir la trouille et se dire quâil faut mieux faire. Et les clients en rajoutent en faisant des comparaisons entre les filles. Du coup, on a une vision dĂ©formĂ©e. Je ne me disais mĂȘme pas que câĂ©tait de la prostitution ! Pour moi, une prostituĂ©e, câĂ©tait une fille qui faisait le trottoir. En plus, le mot nâest jamais utilisĂ© dans ces bars. En sortir, un parcours de combattante Jâai laissĂ© ma chambre dans le noir pendant six ans. Je commence seulement Ă rouvrir les volets. Et je viens de recommencer Ă mettre des robes, mĂȘme si ma mĂšre me dĂ©courage en me disant que je suis trop grosse⊠Aujourdâhui je me pose mille questions. Jâai des troubles alimentaires depuis toute petite, anorexie et boulimie, par pĂ©riodes. Il mâest arrivĂ© de ne plus peser que trente-cinq kilos, de rester des jours sans manger, de me faire vomir. Jâai fait plusieurs tentatives de suicide, je me suis scarifiĂ©e⊠Jâai vĂ©cu sur le fil du rasoir. Je me dis que ce nâest pas venu de nulle part. Jâai aussi des flashs avec des images de violence qui reviennent, je fais des cauchemars. Je mâaperçois que, quand jâĂ©tais ado, jâacceptais nâimporte quoi. Je laissais faire des types, dans les trains, dans la rue. Jâai eu de multiples agresseurs. Comment ai-je pu laisser tant dâhommes disposer de mon corps ? Câest violent dâen prendre conscience. Pendant ma thĂ©rapie, jâai commencĂ© Ă avoir des flashs. Jâai revu les violences que mâa fait subir un ami proche de mon pĂšre. Je ne sais plus si jâavais 4 ans ou 6 ans⊠Je me suis aussi souvenue dâune nuit oĂč je lâai vu tenter de violer ma mĂšre. Je pense maintenant quâil a agi comme un dĂ©mon Ă lâintĂ©rieur de moi. Je comprends mieux pourquoi jâĂ©tais amenĂ©e Ă faire des choses incohĂ©rentes. Jâai vĂ©cu tant de violences que mon corps a fini par lĂącher. Je suis aujourdâhui en fauteuil avec une maladie neurologique dâorigine carentielle. Carence qui est Ă la fois le rĂ©sultat dâune Ă©niĂšme rechute dans mes troubles alimentaires et de la mauvaise hygiĂšne de vie et de lâalcool qui ont marquĂ© mes annĂ©es de prostitution. Je ne supporte pas quâon me touche Je fais le bilan. Il mâest impossible dâavoir une vie sexuelle. Jâai bien des petits copains mais je ne supporte pas quâon me touche, ou alors sous alcool ou cannabis. Sur trois rencontres que jâai faites, je sais que jâai laissĂ© partir un homme bien. Il y a quelques annĂ©es, jâai du voir une gynĂ©cologue et faire un frottis. Jâai Ă©clatĂ© en sanglots. Jâai Ă©tĂ© dans le dĂ©ni pendant cinq ans. Il y avait des trous noirs. Je ne parlais jamais de rien ; je ne pouvais pas prononcer les mots prostitution, viols, agressions sexuelles ; ni mĂȘme me souvenir de ce qui se passait dans ces salons ». Jâavais tout occultĂ©. Au dĂ©but, quand jâai commencĂ© Ă appeler le CFCV, Collectif FĂ©ministe contre le Viol, et que la personne mâa demandĂ© si jâavais subi des violences sexuelles, jâai dit non. Et puis tout est remontĂ© petit Ă petit. Quand jâai entamĂ© une thĂ©rapie, ma mĂ©moire a explosĂ©. Je pensais que câĂ©tait moi qui Ă©tais folle Longtemps, je nâĂ©tais pas en mesure dâidentifier les violences que jâavais subies ; et les personnes qui auraient pu ou qui auraient du mâaider, Ă©taient dans le dĂ©ni de ces violences. Elles ne les voyaient mĂȘme pas. A une Ă©poque, quand jâĂ©tais encore dans la prostitution, jâai Ă©tĂ© suivie par le CMP Centre mĂ©dico psychologique. Câest maintenant que je mesure le mal quâon mâa fait, au lieu de mâaider. Dâailleurs ce que jâai lu dans mon dossier, que jâai eu un jour dans les mains, mâa rendue malade. JâĂ©tais dĂ©crite comme entraĂźneuse, jâĂ©tais hystĂ©rique, aguichante, agressive, suicidaire, jâen oublie. Le mot prostitution nâapparaissait pratiquement pas, il Ă©tait Ă©vident quâil Ă©tait tabou. Ce qui Ă©tait la base de tous mes troubles Ă©tait occultĂ©. Ce quâon laissait entendre, câest que je nâavais pas eu assez de limites petite, et que câĂ©tait moi qui ne voulais pas mâen sortir. Je prĂ©sentais un dĂ©doublement de la personnalitĂ© qui Ă©tait attribuĂ© Ă mes troubles alimentaires. Longtemps, jâai pensĂ© que câĂ©tait moi qui Ă©tais folle. Maintenant, je vois dans quel abandon on mâa laissĂ©e. Un jour, alors que jâĂ©tais trĂšs mal, que jâavais fumĂ© beaucoup de cannabis, je suis allĂ©e au CMP. Je ressentais des douleurs terribles, câĂ©tait comme si mon corps avait envie de crier au viol et je ne comprenais pas pourquoi. Tout ce quâon a trouvĂ© Ă faire a Ă©tĂ© de mâenvoyer en HP hĂŽpital psychiatrique. Personne nâa posĂ© la question du pourquoi. En fait, jâappelais Ă lâaide. Je sais maintenant que si le personnel qui mâa reçue avait Ă©tĂ© formĂ©, il aurait saisi la perche et il aurait compris mon comportement. Au lieu de ça, on a voulu mâenfermer et mâassommer de mĂ©docs. Quand ma patronne a parlĂ© de mâemmener au Maroc, le CMP nâa pas bronchĂ©. Il nây avait aucune conscience de la violence que je vivais. Un jour, jâai dĂ©crit un cauchemar Ă une des psys. Elle mâa dit câest curieux, pourtant vous nâavez jamais vĂ©cu de violences sexuelles ? Dans mon dossier, il y avait pourtant plusieurs viols dâĂ©voquĂ©s. Je ne parlais pas de prostitution ni de clients, jâĂ©tais dans un dĂ©ni total, mais je suis sĂčre que tout le monde avait compris. Apparemment, ce nâĂ©tait pas suffisant. Quand je refusais les rendez-vous avec des hommes, personne ne se demandait pourquoi. On me disait que câĂ©tait liĂ© Ă ma relation avec ma mĂšre. Jâai juste vu une fois un homme art-thĂ©rapeute ; jâai mis deux mois Ă y arriver. Finalement je lâai trouvĂ© gĂ©nial ; je faisais enfin confiance Ă un homme mais le chef de service a stoppĂ© les rendez-vous. Jâai lu dans mon dossier que cet art-thĂ©rapeute nâen voyait pas lâutilitĂ©. Comment des victimes ne se ficheraient pas en lâair dans ces conditions ? Heureusement que jâai un acharnement de pittbull ! Jâai perdu des annĂ©es de ma vie Ă cause de tous ces gens qui ne comprenaient rien. Au CMP, jâai vu au moins vingt personnes diffĂ©rentes. Mais je nâavais pas la personne ressource dont jâaurais eu besoin, ni le suivi dans le temps. Quand je tentais dâappeler au secours, je faisais tout de travers. Un jour, jâavais arrĂȘtĂ© la prostitution mais jâavais peur de rechuter. Tout ce que jâai trouvĂ© Ă faire, câest de porter plainte mais sans dĂ©noncer les bonnes personnes. JâĂ©tais mal, jâavais fait une tentative de suicide. Il fallait quâon mâaide et je nâai trouvĂ© que ce moyen. Au final, jây suis retournĂ©e. Aujourdâhui, enfin, je me dis que je ne suis pas complĂštement folle. Jâai lu Le livre noir des violences sexuelles de Muriel Salmona et jâai la chance quâelle soit devenue ma thĂ©rapeute. Elle est la premiĂšre personne Ă qui jâai enfin pu tout dire. A un moment, je lui ai Ă©crit quasiment tous les jours, comme Ă un journal intime. Il fallait que je sauve ma peau. Des repĂšres, des personnes clĂ© Tout de mĂȘme, il y a eu des personnes importantes dans mon parcours une femme gendarme par exemple. Elle a enquĂȘtĂ© sur le bar, suite Ă la plainte que jâai fini par dĂ©poser. Maintenant, je rĂ©alise quâelle a Ă©tĂ© importante pour moi, mĂȘme si elle a fait de sacrĂ©es bourdes. En fait, elle Ă©tait persuadĂ©e que la prostitution, câĂ©tait mon choix et elle croyait que câĂ©tait bien de le respecter. Alors quâen fait jâappelais au secours. Jâai commencĂ© par la dĂ©tester quand elle a voulu me mettre en garde Ă vue. Mais elle nâa pas lĂąchĂ©, elle a convoquĂ© ma patronne de bar et elle a interrogĂ© les filles. Au passage, quand les gendarmes ont fait une descente dans le bar en uniforme !, ils nâont rien trouvĂ©. La patronne a jouĂ© la gentille, la protectrice, sur lâair de si jâai le moindre doute, je vous appelle ; ce genre de discours, ils le gobent. Je leur avais pourtant donnĂ© tous les tuyaux ne pas dire gendarmerie sinon tout le monde est prĂ©venu immĂ©diatement par une sonnette dans les salons. De toute façon, avec le temps que la patronne met Ă ouvrir, les gendarmes ne trouvent plus rien que des hommes et des femmes occupĂ©s Ă boire un verre bien gentiment. Maintenant, je comprends que cette femme gendarme a Ă©tĂ© la seule personne qui mâa mise en face de la rĂ©alitĂ©, qui a mis des mots et a cherchĂ© Ă mâaider mĂȘme si câĂ©tait maladroitement, par mĂ©connaissance. Plusieurs fois, elle mâa dit ce que tu fais sâappelle de la prostitution, ta patronne est une proxĂ©nĂšte. Je ne voulais pas lâentendre, jâĂ©tais en rage quand elle disait ça. Mais les mots ont fait leur chemin, mon cerveau avait entendu. Elle est la premiĂšre qui mâa montrĂ© que ce que je vivais Ă©tait violent. Une nuit, quand un client avec qui je vivais mâa mise Ă la porte, jâai errĂ© dans les cages dâescaliers et jâai fini par aller Ă la gendarmerie pour la voir. Jâavais confiance en elle. Mais elle nâĂ©tait pas lĂ . JâĂ©tais en tenue de prostituĂ©e, au petit matin, complĂštement perdue ; les autres nâont pas levĂ© le petit doigt, ils mâont laissĂ©e repartir. Du coup, par la suite je nâai plus cherchĂ© Ă y aller. Je me suis dĂ©brouillĂ©e toute seule. Depuis, elle mâa confiĂ© quâĂ lâĂ©poque beaucoup de ses collĂšgues lui disaient lĂąche lâaffaire avec cette fille, elle ne tient pas la route et quâelle avait rĂ©pondu Alors on abandonne une victime et on ne fait rien ?. Il y a eu aussi une psychologue de la Mission Locale qui sâinquiĂ©tait pour moi. Normalement, ce nâĂ©tait pas dans ses attributions mais elle a fait des dĂ©marches pour que jâaie un pied Ă terre. Malheureusement, jâai eu un logement dans une structure qui recevait des ex taulards, des ex droguĂ©s. Les flics dĂ©barquaient Ă six heures du matâ. Dans ma situation, ce nâĂ©tait pas fait pour me rassurer ni pour me soutenir. Du coup, je suis partie, jâai trouvĂ© un travail et jâai pu retrouver un logement⊠mais je suis quand mĂȘme retournĂ©e dans la prostitution plusieurs soirs par semaine, parfois jusquâĂ 4h du matin. DĂšs que je nâavais plus personne, plus de climat sĂ©curisĂ©, jây retournais. Jâai manquĂ© de solutions, de structures. Jâai appelĂ© rĂ©guliĂšrement le CFCV qui mâa orientĂ©e vers le Mouvement du Nid. Il a fallu que jâaille dans un dĂ©partement voisin car chez moi il nây a rien pour aider les personnes en situation de prostitution. Pour moi, câĂ©tait vital dâavoir des personnes formĂ©es Ă qui parler. RĂ©cemment, un souvenir sâest mis Ă me hanter un viol par un client. Jâai mis des annĂ©es Ă pouvoir dire ce quâil mâa fait tellement câĂ©tait imprononçable et tellement jâavais honte. Jâen avais vomi. Quand câest remontĂ©, je me suis sentie mal au point de me scarifier et jâavais peur dâappeler le CFCV. CâĂ©tait trĂšs partagĂ© dans ma tĂȘte ; je savais quâelles allaient pousser pour que je lĂąche le morceau et jâĂ©tais terrifiĂ©e. Finalement, jâai pu le dire et jâai ressenti un grand soulagement. Je pense que pour une sortie de prostitution, il y a le fond de nous, la prise de conscience, mais beaucoup les personnes que lâon croise sur notre chemin. MĂȘme si ça nâa pas dâimpact dans lâimmĂ©diat, ça en a au fond et pour plus tard. Entre deux pĂ©riodes en bar, jâai quand mĂȘme passĂ© un BEP et un DAEU1. Depuis lâĂąge de quinze ans, jâai toujours eu lâidĂ©e dâĂȘtre Ă©ducatrice. Sâils ont rĂ©ussi Ă tout me prendre, ils nâont pas pu mâenlever ça. Dâailleurs, jâai eu la chance de pouvoir exercer ce mĂ©tier pendant cinq ans et câest ce qui mâa permis de tenir. Mais je suis arrivĂ©e Ă la fin de mon contrat. Plusieurs fois, je me suis demandĂ© si jâallais retourner dans les bars. Je me rends compte que câest un systĂšme intelligemment pensĂ©. Il y a de la musique, des lumiĂšres tamisĂ©es, de lâalcool⊠On vit dans le flou, on oublie son corps, on sâoublie. On a lâimpression de ne pas ĂȘtre seule, dâappartenir Ă une grande famille. Aussi incroyable que ça puisse paraĂźtre, il mâest arrivĂ© de ressentir de la nostalgie. Heureusement que jâai le soutien de ma thĂ©rapeute. Quand je pense que dans ma ville, il nây a mĂȘme pas une association fĂ©ministe oĂč je puisse ĂȘtre entendue. Jâai pourtant de lâĂ©nergie, je fais partie dâune troupe de théùtre⊠Aujourdâhui, je ne demande quâĂ passer Ă autre chose. Mais pour ça, il faut que jâaille jusquâau bout de mon travail en thĂ©rapie.